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Sud Ouest le 06/03/2015
Bayonne : la découpe du jambon, c’est de l’art et du cochon
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Le maître d’hôtel Gil Galasso veut promouvoir un savoir-faire ressuscité. Meilleur ouvrier de France et champion du monde, il ne tranche le Bayonne qu’au couteau.
Bayonne : la découpe du jambon, c’est de l’art et du cochon Gil Galasso tranche le jambon de Bayonne très finement.
Gil Galasso tranche le jambon de Bayonne très finement.
Gil Galasso prend des gants, au sens propre comme au figuré. S’il les enfile pour trancher son jambon à la manière d’un chirurgien plasticien, ce maître d’hôtel anticipe aussi « la polémique ». Car oui, la découpe du Bayonne délierait les langues. ‘La revalorisation de cette pratique oubliée, effectuée d’une manière bien précise, au couteau alvéolé, ne coule pas de source », assure le spécialiste. Du Consortium aux bars de la Nive, en passant par la plupart de nos charcuteries, ce geste serait devenu au jambon ce que le baisemain est à la cour.
Aussi, Gil Galasso prône une découpe horizontale parfaite, pour obtenir des tranches régulières très fines, délicates et sans copeau. « Il faut voir le couteau en transparence, sous la tranche », annonce-t-il. Le mouvement doit s’accompagner d’un rituel esthétisé, de l’installation du jambon à la pose d’une serviette, qui recouvre la main de l’artiste. Et exit la chiffonnade. « Cette approche a été oubliée », déplore-t-il, l’œil malicieux.
Il faut dire que notre Bayonnais de 47 ans a une idée derrière la tête : redonner, à sa manière, tout son lustre au cochon suspendu… Quitte à bousculer quelques certitudes. Une ambition recevable, tant le CV du personnage force le respect. Meilleur ouvrier de France (MOF) en 2003 et champion du monde en 2009, chez les maîtres d’hôtel, Gil Galasso s’est lancé dans une thèse en septembre dernier. Soutenu par l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA), son travail entend décortiquer « l’art de la découpe ».
Le mouvement de l’écuyer tranchant
Nœud papillon serré, costume bien ajusté et médaille de MOF autour du cou, notre Bayonnais cherche notamment à reproduire le mouvement parfait. Celui de « l’écuyer tranchant », qui découpait naguère les viandes de ces rois qu’on ne prenait pas pour des jambons.
S’il inclut poulardes, ovins et autres poissons crus ou cuits dans ses recherches, ce découpeur en tailleur se montre particulièrement loquace à propos du Bayonne.
« C’est une hérésie d’en faire des copeaux. Ça, c’est l’école espagnole, avec un jambon plus sec et plus salé, qui s’y prête. L’école française, elle, commande la découpe de tranches fines pour ce jambon de Bayonne moins salé et plus sain. Sur une piperade, par exemple, on dépose toujours une tranche entière. Le sel est un exhausteur de goût. Quand il y en a moins, le jambon doit être davantage respecté, pour obtenir une texture plus soyeuse. »
Aux yeux du MOF, cet art doit être partagé. Accompagné des maîtres restaurateurs du Béarn et de la Soule, voilà pourquoi il propose à de jeunes apprentis des écoles hôtelières de s’affronter sur la découpe. Ce concours est prévu le 9 mars, à 10 heures, au Parc des expositions de Pau. Il regroupe huit finalistes venus de Paris, Auxerre, Biarritz ou encore Pau. Des fines lames attendues sur le poulet, l’agneau de Barèges et le Bayonne. « Une bonne façon de faire connaître ce savoir », dixit Gil Galasso, un homme en croisade.
« Quand un touriste vient à Bayonne, il ne voit pas de jambons suspendus dans tous les restaurants. Ni de découpe spécifique, poursuit-il. La plupart dispose de trancheuses. Et de plus en plus d’adresses sont hispanisées. Nous aussi, nous devons rechercher l’excellence, une mise en scène et « l’artification »‘ du geste. Certains penseront que c’est du cirque. Mais cela va au-delà de l’animation d’un bar. Si on s’y met, cela peut faire beaucoup pour l’image du produit, que l’on respecte. »
Décalage
S’appuyant sur sa thèse, Gil Galasso voudrait graver dans le marbre le geste pur et originel. Créer une école de la découpe. Et évangéliser les restaurateurs… Surtout en bord de Nive. « S’ils sont partants, je peux les initier. »
Reste à savoir si la cité basco-gasconne est prête. « Il y a quelques années, Jean Grenet m’expliquait que ce serait difficile, car Bayonne véhicule l’image de la sangria, des tapas et des Fêtes. J’ai bien conscience d’être un peu décalé. »
Pour autant, le MOF jalouse la capacité des Espagnols à magnifier leurs produits. « Là-bas, ils ont leurs championnats du monde annuels. Ils découpent en copeaux. Et dessinent une mosaïque dans l’assiette. À nous de montrer notre propre savoir-faire. Mais pour l’instant, nous en sommes loin. Même pour la Foire du jambon de Bayonne, cet art n’est pas montré. »
Notre « écuyer tranchant » remet ses gants. Et croise les doigts. « Parler de découpe du jambon à Bayonne, cela a du sens, non ? »