La rue Victor Hugo
La rue Victor Hugo est une de mes préférées. Lorsque j’étais en terminale au lycée hôtelier de Toulouse, rue du Conservatoire, nous avions une journée professionnelle hebdomadaire au cours de laquelle nous occupions, chaque semaine, un poste différent : cuisine, pâtisserie, service en salle, réception, chambres, lingerie…
Il existait à cette époque un poste tout à fait particulier : le poste économat, l’agent responsable nous confiait alors la tâche d’aller acheter en ville des éléments de complément pour la journée de l’hôtel : fleurs, épicerie, liquides.
On nous remettait alors un petit panier en osier et nous étions lâchés en ville ! Nous ressentions une sensation de liberté indescriptible dès que nous passions la porte de l’hôtel d’Occitanie.
La rue Labéda
Il fallait traverser la rue Labéda, passer devant le coiffeur qui réalisait son chiffre d’affaires avec les élèves qui lui étaient confiés manu militari pour crime de cheveux trop longs, passer devant le cinéma Le « Zig Zag », le café « Le Cardinal » dont les chaises portaient de noms d’acteurs, puis traverser le square Wilson, passer devant la statue de Goudouli, puis prendre la rue D’Austerlitz et enfin la rue Victor Hugo avant d’arriver au marché. Cette rue était étroite. De chaque côté il y avait des boutiques, un chocolatier, la maison Pillon, un fleuriste et surtout le torréfacteur Bacquié qui embaumait toute la rue.
J’ai pensé rendre un hommage à cet esprit de l’école hôtelière en réalisant une recette simple en salle à partir de produits qui auraient pu se retrouver dans mon panier : Un magret de musquette du Gers, une fiole d’Armagnac de 1984, de la crème fraîche, du café Bacquié et du chocolat. Le Chef cuisinier aurait lui préparé un fumet de canard.
Jean François Lucas, Chef de travaux du lycée avec Julie Augé, a eu la gentillesse de me prêter les ustensiles que j’aurais du utiliser à l’époque. Les assiettes siglées LTH Toulouse, les pots et le poêlon en argent. J’ai même reçu le réchaud à alcool traditionnel ! Comment faisaient les professionnels pour utiliser ce matériel qui défie plusieurs lois physiques ? Cela restera un mystère.
Il est difficile de transmettre aux jeunes générations cet « esprit » dont tous mes camarades qui ont fait l’école hôtelière sont imprégnés à jamais. C’était une association singulière entre rigueur professionnelle (il y avait encore dans les enseignants d’anciens professionnels avec des méthodes parfois rudes, à l’image de l’univers professionnel qui nous attendait) associée à une bienveillance qui nous semblait étonnante de la part de jeunes professeurs tout justes sortis de l’école des professeurs d’hôtellerie : l’Enna.
C’était, par exemple, un grand soulagement d’aller en cuisine avec Jean Pierre Poulain, qui venait de soutenir sa thèse en sociologie, ou avec Monsieur Glory en pâtisserie.
Je me souviens aussi que cette année la avait été créé le logo de l’école hôtelière par mon professeur de dessin Monsieur Chaix, à partir du sceau de Raymond Trencavel, le chevalier faydit qui avait, seul, osé affronter les armées du roi au 12ème siècle. C’était ça aussi Toulouse, une école hôtelière à part, avec sa propre philosophie, et sa relative indépendance. Monsieur Chaix nous avait appris à créer une signature personnelle stylisée, c’est toujours celle-ci que j’utilise encore.
Sceau du Comte Raymond Trencavel
Emblème de l’Ecole Hôtelière de Toulouse actuelle
Le professeur qui m’a le plus marqué pendant mes années lycées puis B.T.S. se nommait Monsieur Badi. Il enseignait l’Espagnol. Le pauvre, ma classe ne le ménageait pas. Cette matière était optionnelle mais nous étions obligés d’assister aux cours quand même ! La moitié de la classe n’écoutait rien. Monsieur Badi avait alors pris une décision radicale, après quelques cours seulement, il avait décidé de ne plus nous parler en Espagnol, ni de nous obliger à apprendre la langue, mais au contraire de nous faire aimer l’Espagne, la langue de Cervantes, les grands personnages Espagnols, la culture Ibérique. Ces cours étaient passionnants, et ils m’ont donné envie d’apprendre l’Espagnol par la suite. C’est encore à ce jour un exemple d’intelligence pédagogique.
Et puis il y avait ce livre énigmatique : le désert des Tartares de Dino Buzatti que nous essayions de déchiffrer. Madame Gayrard, il m’aura fallu plusieurs années pour le comprendre enfin !
La salle du restaurant d’Occitanie était dirigée par Jean Chaine. Elle était toute en longueur avec ces couleurs des années 70, orange et marron. Au fond, au dessus de la cheminée il y avait l’œuvre que tous les lycéens du lycée essaient d’interpréter à leur façon, La Garonne.
Monsieur Chaîne faisait partie de ces professeurs un peu durs. Il fallait être très concentré pour ne pas faire d’erreur. Il ne laissait rien passer. Plus tard, après mon expérience professionnelle, je l’avais revu et lui avait demandé s’il pouvait me transmettre le secret de la découpe d’un caneton à la volée. Il n’avait pas pratiqué lui-même cette découpe mais pensait se souvenir qu’il fallait utiliser deux fourchettes flanquées dans le croupion. Il est décédé la semaine d’après et depuis j’essaie d’interpréter ses paroles.
Magret de canard Musquette « Rue Victor Hugo »
Visualisez la recette en cliquant ici
Hommage à toute l’équipe enseignante du Lycée Hôtelier de Toulouse 1984
Photos et vidéos Daniele d’Angelo
Ingrédients
Un magret de Musquette
50 grammes de café Bacquié concassé
10 cls de café Bacquié liquide
5 cls de chocolat chaud de la maison Pillon
Fumet de canard maison (réalisé à l’époque au poste brigade par Monsieur Hummel)
Crème fraiche liquide
5 cl d’Armagnac 1984
En cuisine
Saisir le magret côté graisse
Concasser le café, puis le coller au miel sur le filet
Faire rôtir le magret de canard et torréfier le café concassé
Placer sur un poêlon en argent École hôtelière de Toulouse
En salle
Allumer le réchaud
Placer le poêlon sur le feu
Flamber à l’Armagnac
Réserver le magret sur une assiette clochée
Ajouter rapidement les ingrédients (pour qu’Yves Cinotti soit content) 😉
Poivrer à partir d’une poivrière Lycée d’Occitanie
Découper le magret en tranche épaisse comme c’était la mode dans les années 80
Verser un fond de sauce dans le bassin d’une assiette LTH Toulouse
Placer les tranches de magret et servir
La garniture sera servie à l’anglaise (suggestion gratin de pomme de terre) comme aux Caves de la Maréchale.