Faut-il rétablir le salaire au pourcentage en restauration ?

Un débat actuel est particulièrement intéressant car il concerne directement les métiers du service en salle : l’Union des Métiers de l’Industrie l’Hôtelière (UMIH) évoque en ce mois d’août 2017, une baisse des pourboires laissés dans les restaurants au personnel de service en salle.

On trouve les origines du pourboire en Angleterre (XVIIIeme), la petite histoire nous dit qu’un aubergiste aurait placé un pichet à l’entrée de son établissement avec l’inscription To Insure Promptness (pour garantir la rapidité-du service). Les clients les plus pressés devenaient alors prioritaires. L’expression serait entré dans les mœurs sous forme de « Pour boire à ma santé ! », mais en fait elle permettait d’augmenter un niveau de salaires très bas.

Il est certain que le pourboire, qui faisait partie intégrante du salaire d’un salarié de service en salle, ne fait plus partie des préoccupations de plus en plus de clients, en particulier au moment du passage à l’Euro, un ou deux euros représentant une somme plus importante qu’un, deux ou cinq francs, pièces que tout le monde possédait dans son porte monnaie et qui représentait moins de valeur.

La pièce d’un euro a été aussi assimilée psychologiquement à une pièce de 10 francs, similaire, ce qui semblait trop pour beaucoup de clients.

pièce de 10 francs

Même certaines brasseries parisiennes, dont le fonctionnement au pourcentage permettait d’assurer des salaires intéressants, qui compensaient les nombreuses heures effectuées, et pas toujours rémunérées,  remettent ce système en cause, ce qui entraine un débat immédiat de grands professionnels du service, qui sont aussitôt remplacés par du personnel moins compétent, et moins cher.

Est ce un calcul judicieux de la part des directions ?

Il y a une pénurie de personnel en salle, les restaurateurs le constatent, et même dans les établissements d’enseignement hôtelier il y a une demande beaucoup trop disproportionnée pour les diplômes de cuisine que pour ceux de service, constat très dangereux pour le futur proche de l’industrie hôtelière.

Côté salaires, un serveur était rémunéré dans les années 80 et 90 entre 1,5 et 2 fois plus qu’actuellement, selon le type d’entreprise.

Lors de la création et de la signature de la Grande Charte du Service à la Française, ce 23 juin dernier, nous avions engagé un débat avec l’ UMIH, représenté par Monsieur Franck Chaumes, vice président UMIH 33. Nous le remercions encore pour son soutien et sa participation. Monsieur Chaumes nous a proposé de continuer le débat lors du salon Expotel 2017.


En juillet 1933 est créée la loi Godard, notamment pour compenser la baisse des pourboires. La petite histoire nous rapporte qu’une femme de chambre de l’hôtel Meurice à Paris, Marinette, frustrée de comparer le prix d’une nuitée dans le palace à son salaire, porte réclamation auprès du député Justin Godard, qui se penche sur le dossier.

Justin Godard était une personne engagée. Il refusa quelques années après le vote de cette loi de signer le soutien au maréchal Pétain, au péril de sa vie. Il devint plus tard un grand résistant, et sauva beaucoup de personnes de religion juive pendant la guerre. Il   fonda aussi la ligue contre le cancer.

le député Justin Godard

Justin Godard

Cette loi oblige le restaurateur (et l’hôtelier), à faire bénéficier aux membres du personnel en contact avec la clientèle d’un pourcentage de service sur les additions. Si elle a l’avantage de dynamiser la motivation du personnel de salle, cette loi exclut le personnel de cuisine, le personnel administratif, et les catégories de personnels qui n’ont pas été prévues lors de sa rédaction[1]. Elle engendre une certaine jalousie de la part des équipes de cuisine en particulier. Même si ce n’est jamais exprimé, un esprit de revanche sera présent dans l’esprit des Chefs des années 1970. Ces derniers ont mal subi les effets de la loi, en place depuis une vingtaine d’années. Ils reprennent le dessus sur les équipes de salle, c’est ce que l’on nomme à l’époque « la guerre cuisine-salle », et exigent que le pourcentage de service soit répartit entre tous.

En 1936, la journée de travail fixée par la convention collective est de 10 heures, la semaine de 60 heures. Elle passe à 10 h par jour de présence en 1937 (8 heures de travail et 2 heures de repas), avec un repos ininterrompu de 10 heures.


Il faut savoir que la loi Godard est toujours d’actualité dans les entreprises hôtelières et pourrait être réhabilitée. Elle ne concerne toujours que le personnel en contact avec la clientèle, elle présente l’avantage d’augmenter le salaire du personnel par le biais des 15 pourcent ajoutées à la note, mais l’inconvénient de faire une différence mesurable avec le personnel de direction (directeur de salle, maître d’hôtel) rémunérés au fixe, qui se trouvent souvent être rémunérés moins que les serveurs qui sont leur subordonnées.

J’ai dirigé deux établissements avec un service au pourcentage. Le Café Royal de l’hôtel Sofitel Miami, et le restaurant gastronomique Old Thameside Inn, aujourd’hui devenu un pub de la City de Londres. Le système fonctionnait bien.

Un des désavantage est que le directeur de salle doit s’efforcer de faire tourner son personnel car certaines tables sont plus intéressantes que d’autres. Et certains employés plus expérimentés peuvent revendiquer le service des meilleurs tables.

Les conditions fiscales du versement d’un salaire au pourcentage peuvent être trouvées ici

Gil Galasso

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[1] Par exemple les membres de la réception d’un hôtel sont considérés comme du personnel administratif.

 

Programme de la rencontre du 23 juin

CEMMC

9 h Café d’accueil

9 h 30 Début de la conférence / débat

Redéfinition du Service à la Française


Ouverture par Christine Bouneau, directrice du CEMMC et responsable du programme SCOR MSHA

Présentation de Christophe Bouneau et Corinne Marache (Université Bordeaux Montaigne, CEMMC)

Introduction scientifique

Présentation de Gil Galasso : les différentes terminologies du « Service à la Française » selon les époques. Cliquez ici

Les interventions seront modérées par les Universitaires, Christophe Bouneau et Corinne Marache.

Prise de parole par Monsieur Louis Canfailla, Président du concours Un des Meilleurs Ouvriers de France Maître d’hôtel


10 h La première dimension du service à la Française : « Le Grand Service à la Française »

Loic Glevarec (Meilleur Ouvrier de France Maître d’hôtel)

Le service à la française du XIXème siècle et ses applications au XXIeme siècle : l’enchantement du client étranger

Franck Languille (Président de la Coupe Georges Baptiste, Maître d’hôtel Assemblée Nationale)

Le service à table protocolaire à la française

Stephane Guénaud (Argentier Palais de l’Elysée)

Service à la Française et protocole

Franck Philippe (Doctorant en histoire, Université de Tours)

Service à la Française et protocole


10 h 30 La seconde dimension du service à la Française : « Le Service à la Française et la restauration commerciale »

Bernard Boutboul (GIRA conseil)

Service à table dans le marché de la restauration française, nouvelles tendances.

Article : « Un service à partir d’une table roulante, ou guéridon qui permet de réaliser des découpes ou flambages devant le client, et de réaliser des animations par des techniques codifiés en représentation de la notion de partage, ou librement interprétées à partir d’une tradition plus ancienne ».

Guillaume Bonnard (Jeunes Maîtres d’hôtel) et Arnaud Enjalbert (Maître d’hôtel Le Prince Noir Lormont)

Nuances de service à la française en fonction du type de clientèle
Nuances de service à la française en fonction du type d’établissement
Synergie entre salle et cuisine au 21ème siècle

Laurent Delarbre (Lycée Hôtelier de Talence)

Article  » Le Service à la Française Met en avant le pain, l’eau, le fromage et le vin comme produits accompagnant le repas « à la française. »

Synthia Cazalens Wojnarowicz (maître d’hôtel et enseignante)

Service à la Française et féminité

Pascal Mesnard (Association des arts de la table)

Articles :
Le service à la Française met en avant les spécialités régionales et traditionnelles, par des gestes particuliers et un discours adapté.
Le service à la Française met en avant les producteurs en particulier de produits français et de qualité, dans le respect de l’ordre de la nature, des animaux et le l’équilibre de la bio-diversité. 

Sylvain Combe (Meilleur Ouvrier de France Maître d’hôtel)

Article « Le Grand service à la Française doit à ce titre rester le garant des traditions culinaires et de service….inscription au patrimoine culturel et immatériel de l’humanité ».


11 h Première lecture de la charte et débat

12 h Envoi de la charte pour modération à trois Meilleurs Ouvriers de France Maître d’hôtel (Thonon les Bains et Auxerre)

Serge Goulaieff (Meilleur Ouvrier de France Maître d’hôtel)

Frank Josserand (Meilleur Ouvrier de France Maître d’hôtel)

Didier Galopin (Meilleur Ouvrier de France Maître d’hôtel)


Pause déjeuner


14 h Lecture de la Charte

Signature et remise de la Charte à chaque Participant

Discours de la Mairie de Bordeaux

Discours de la présidence de la Région Nouvelle Aquitaine

Discours du président de l’UMIH

Remise de la Charte à chaque participant, aux organisateurs et officiels


16 h Clôture de la journée par les organisateurs


Départ vers Arcachon (soirée organisée par Didier Lasserre)

MSHA

Le service à la Française au XXIème siècle


L’expression « Service à la Française » possède historiquement deux connotations précises.

La première désigne la forme de service mise en place depuis l’antiquité jusqu’à la fin du moyen âge. Elle consiste à placer tous les plats d’un repas sur la table, de manière plus ou moins ordonnée selon les époques. Cette forme de service est particulièrement codifiée aux XVII et XVIIIème siècle.

Marly

Plan du service de viande d’une des deux tables du roy, 1699. Paris, Bibliothèque nationale de France, Va 78a t. 3.

La seconde désigne une forme de service dérivée  du service à la russe mis en place progressivement à partir du début du XIXeme siècle en France.

Aujourd’hui 23 juin 2017 la profession rassemblée des métiers de la salle s’est attachée à redéfinir une notion moderne du « service à la française« ,  et exprimer ainsi la spécificité de notre nation et de ses acteurs dans l’univers du service en salle.

service à la française

Service à la Française, Louis Leopso, Le traité de l’industrie hôtelière, 1917